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Croire, ce n’est ni une opinion (je pense que) ni un savoir (je sais que). C’est une expérience.

Publié le 11 mars 2024

Homélie du quatrième dimanche de Carême 2024

Je m’adresse aux catéchumènes. Les autres aussi pourront en profiter, j’espère. Avec cet évangile de la guérison de l’aveugle né (Jean 9) on est comme dans un roman, l’intrigue se noue au premier paragraphe. La question est posée : où est l’origine du mal. Ici, sous une forme somme toute classique : qui a péché ? Lui, l’aveugle ou ses parents ? puisqu’il est ainsi de naissance.

Ni lui, ni ses parents ! C’est bien gentil, mais ça ne résout pas la question. Jésus donne d’ailleurs une autre réponse : « pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. »

Vient ensuite tout un scénario avec plusieurs sortes de contradicteurs qui font progresser l’énigme jusqu’à la fin du roman. Les pharisiens, les parents qui d’ailleurs se tiennent à l’écart. Demandez-lui, disent-ils, quand on les interroge, il est assez grand pour s’expliquer. C’est vrai que l’on a peut-être dit des parents qu’ils avaient péché puisqu’ils avaient donné naissance à un aveugle. Eux-mêmes ne comprenaient pas ce qui leur arrivait. Sortons donc de cette question qui nous piège : on voudrait savoir.

Bref, la question du mal posée par les disciples trouve sa raison d’être. Et nous nous posons souvent cette question, en tout cas je pose souvent cette question à Dieu : Qu’est-ce que tu fais ? Entre nous soit dit, je pense que je ne suis pas le seul et d’ailleurs les psaumes sont remplis de cette même interrogation.

L’échec, au cœur même de cette foi en la présence de Dieu, cette expérience de l’échec que vit le peuple élu dans son histoire, cet échec que nous pouvons constater dans notre propre expérience personnelle et collective au cœur même de notre foi, nous fait vivre l’expérience que Dieu n’est pas présent à notre histoire, à nos vies, comme nous le pensions. Sa présence est autre, elle n’est pas liée aux vicissitudes de notre existence. Dieu demeure présent au cœur même des échecs, c’est la Croix, mais sa présence ne dépend pas de nous. Il nous faut accepter que nous sommes créatures et qu’il est Dieu.

Il est tout proche, en Jésus-Christ nous en faisons l’expérience, mais il reste le Tout-Autre.

Ainsi, contrairement à ce qu’à cru un temps le peuple élu, le pouvoir de Dieu ne se laisse pas assimiler à une puissance politique, ni à quoique ce soit d’autre. Il n’est pas là pour résoudre nos problèmes, surtout pas pour combler nos manques.

Il faut sans doute dire oui au mystère de cette altérité de Dieu. C’est d’ailleurs parce que l’homme a voulu nier sa différence qu’elle s’est imposée à lui. Genèse 3,5. « vous serez comme des dieux ». C’est le diable qui le dit.

Et pourtant il nous aime et il nous aime libre. Nous ne sommes pas conditionnés par ce qu’ont fait nos parents, nous ne sommes même pas conditionnés par ce que nous avons fait ; non pas que cela n’ait pas d’importance mais il y a quelque chose de plus fort que cela, c’est l’amour, notre capacité à être aimé et à aimer. Nous ne sommes pas réduits à l’image que les autres se font de nous-même, comme l’aveugle-né, ni non plus à l’image que nous nous faisons de nous même. Nous sommes plus que cela, autre que cela. Nous valons mieux que ce que nous avons fait, même dans le mal. Regardez l’aveugle-né et tous les personnages qui sont autour : il y a ceux qui savent, mais Jésus dit clairement qu’ils ne sont pas du bon côté (même s’il le dit avec d’autres mots). Il y a ceux qui ne savent pas, et parmi eux le premier second rôle, l’aveugle guéri. Il sait simplement que Jésus, qu’il ne sait nommer encore, fait l’œuvre de Dieu. Il le sait par l’expérience qu’il a vécue. Il a fait l’expérience de l’œuvre de Dieu et il n’en tire pas une théorie intellectuelle fut-elle habillée en spirituel, il est bien incapable de faire de la théologie : il fait l’expérience de la proximité de Dieu parce que ça a changé sa vie. Soit-dit en passant ça lui a pour le moment plutôt compliqué l’existence parce qu’il a changé de rôle : il est devenu lui-même, il n’est plus remisé dans un rôle, et c’est moins facile que de jouer un rôle ; mais n’est-ce pas là l’œuvre de Dieu : Nous faire advenir à nous-même, faire advenir le monde à lui-même en Jésus-Christ ?

Mais revenons à nos moutons. Dans l’épilogue, Jésus ne demande pas au nouveau voyant ce qu’il sait mais en qui il croit. Comme à chaque rencontre de Jésus dans l’évangile selon St Jean que ce soit à Cana où ses disciples crurent en lui, au bord du puits de Jacob avec la Samaritaine ou un certain dimanche soir, premier jour de la semaine ou le modèle des croyants dit à Jésus : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Vous aurez reconnu le célèbre St Thomas.

Où est Dieu ? Que fait-il ? Comment n’a-t-il pas terrassé le mal, la faim, la guerre dans plusieurs endroits du monde, l’accident, la mort de nourrisson, j’en passe et des pires.

Ce qu’il fait ? Je n’en sais rien. Je crois cependant qu’à travers nous, le Royaume de Dieu advient et que tout converge dans le Christ en qui tout est récapitulé. Il est l’Alpha et l’Oméga. En regardant hier la vie de St Vincent de Paul sur les lieux de sa naissance près de Dax hier, nous nous sommes mis à l’école d’un homme qui croit que Dieu vient à sa rencontre chaque fois qu’il va à la rencontre d’un pauvre. Il le croit. Ce que nous savons n’est pas inutile mais peut nous faire croire que nous serions supérieurs à ceux qui ne savent pas, et nous empêcher de croire. Dans le récit évangélique, c’est bien ça qui est reproché aux pharisiens : vous dites, « nous savons » et du coup vous ne croyez pas.

Le Christ est là comme un ami qui marche à mon côté et pour qui je marche aussi. Il est proche mais il reste tout-autre. Et c’est parce qu’il est là que je suis sans cesse remis debout, sans cesse rétabli dans ma dignité. Parce que c’est mon Dieu, parce nous sommes son peuple, parce qu’il aime l’humanité, qu’il m’a fait par amour et que j’aime cet amour. C’est seulement avec cette force conjuguée mais qui respecte l’altérité de Dieu du créateur d’avec ses créatures que nous pouvons œuvrer dans le monde comme St Vincent de Paul et prier avec ardeur qu’en fin toute choses soient récapitulées en Jésus-Christ. (Ephésiens 1,10) « Que toute langue proclame que Jésus est Seigneur ». Il ne s’agit pas d’abord de savoir, ni d’abord de penser. Il s’agit d’abord de croire que Jésus est là et qu’il agit, il s’agit d’abord d’aimer. Savoir et penser peuvent nous y aider mais peuvent encore mieux nous en empêcher.

J’accepte donc de ne pas savoir mais je crois que c’est lui qui me parle, qui m’aime et me sauve.

Père Gérard Faure, curé

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